Chroniques d'une horreur médicale !
› Louis : notre enfant "né deux fois"...

- 16 octobre 2002 : nous nous sommes levés tôt ce jour-là. Aux alentours de 5h30. Pleins d'espoirs et d'énergie. Anxieux, c'est certain, mais bien décidés à en découdre avec cette dysmorphie osseuse logée au sommet de la tête de Louis. Une trigonocéphalie, comme disent les médecins ; une forme de craniosténose classique, simple, banale. "Qui s'opère bien".

- 16 octobre 2002 : peu de personnes se souviennent qu'un vent violent soufflait ce jour-là, un vent terrible, contrariant, irréel. Un mur. Un vent à rendre fou. Pas moyen de profiter de la moindre minute de silence. À force de s'échouer sur les volets métalliques d'un autre âge, le vent faisait ce jour-là frémir l'hôpital et ne pouvait qu'annoncer un cauchemar. A posteriori.

- 16 octobre 2002 : ce jour-là, rien ne se passe comme prévu. L'entrée au bloc est retardée de 2h30... "Une valve à changer en urgence" diront-ils... Je n'arrive plus à remettre la main sur ce porte-clés en forme de Corse, accroché à mon porte-feuille depuis des lustres. Où peut-elle être ? Je l'ai perdue ? C'est pas croyable ça. Naïvement, j'ai toujours cru que ce porte-clés me portait chance. Et aujourd'hui, plus de Corse !

- 16 octobre 2002 : ce jour-là, nous ne le savons pas encore, mais notre vie ne sera plus jamais ce qu'elle était. Nous allons sombrer dans un monde "parallèle" ; le monde sordide du handicap. Que dis-je ? Dans le monde du polyhandicap. Le handicap, seul, ça n'existe pas. Le handicap est forcément multiple. Une vraie pieuvre. Un virus. Des plus contagieux. Qui touche bien plus qu'une seule personne. Qui éclabousse tout, et tous.

- 16 octobre 2002 : ce jour-là, nous étions proches de la cime et tout ce que nous avions construit a glissé, s'est retourné, et affalé. Sur nous. Ce jour-là, nous sommes poussés vers les abysses. À l'aide ! Au secours ! Aucune réponse ou si peu. Du bout des lèvres. Neurologues, pédiatres, kinésithérapeutes parlent d'une seule et même voix, un texte certainement appris sur les bancs de la faculté : "On ne sait pas"... "Rien n'est certain"... "Comment le savoir ?"... "L'avenir nous le dira"...

- 16 octobre 2002 : sur les coups de 20h30, le vent a laissé place à la pluie, mais qu'importe ! Louis est conduit en réanimation par le Samu dans un autre hôpital. D'une pâleur extrême, plongé dans le coma, le visage bleu de douleur, il doit se battre pour survivre. Ironie du sort : cette lutte contre la mort se tient à quelques pas de la maternité, où 7 mois et deux jours plus tôt, il était arrivé au monde en pleine forme... Ainsi va la vie... Il est commode de dire que l'erreur est humaine, surtout lorsqu'elle s'avère inhumaine !

- 9 décembre 2002 : nous quittons (enfin) l'hôpital. Ouf ! Louis a survécu ; il s'est battu comme un lion, nous sommes fiers de lui. Certes, ce n'est plus le même enfant mais il est là, avec nous, dans nos bras. Il ne bouge plus, ne tient plus sa tête, ne voit plus, pleure beaucoup, mais nous rentrons. Il semble soulagé de quitter cet endroit meurtrier. Quelques jours plus tôt, nous avons refusé le placement dans un centre spécialisé. Comme nous avons opposé un refus, nous rentrons chez nous, démunis sans aucune piste de prise en charge. À nous de nous débrouiller ! Seuls.

- 9 décembre 2002 : nous revoilà pleins d'espoir et d'énergie. Nous allons trouver un super kiné, qui, attendri par l'histoire de Louis, va nous aider avec une réelle volonté. Quelle naïveté ! Après des dizaines et dizaines de coups de fil, personne. Personne ne veut se déplacer à domicile, personne ne se sent capable de rééduquer un bébé polyhandicapé. Personne n'entend notre cri de désespoir.

- Quelques semaines plus tard : Louis nous donne de l'espoir. Parfois déraisonné, et déraisonnable. Pourtant, peu de médecins ont cru en lui. On se souviendra toujours qu'à l'hôpital, quand on leur disait qu'il voyait, qu'il regardait les photos de sa sœur, qu'il avait le même regard qu'avant, on nous répondait : "Vous êtes malheureusement dans le déni. Ça se comprend. Toutefois, Louis est aveugle, handicapé mental et moteur ; il va détruire votre couple ; il faudrait le placer et essayer d'accepter de vivre ainsi." Sans commentaires.

- Aujourd'hui : Louis a plus de 3 ans, il est suivi dans un CAMSP. C'est un enfant adorable, qui nous donne énormément de joies ; il n'est pas aveugle, bouge et n'est pas du tout handicapé mental. Il chantonne, rigole, danse, rampe, écoute toutes les musiques comme personne, et commence à dire pas mal de mots. Nous communiquons bien avec lui.

Maintenant voilà... Marchera-t-il un jour ? Ira-t-il à l'école ? Fondra-t-il une famille ? Comme le chantait Gabin : "Je sais qu'on ne sait jamais... La vie, l'amour, l'argent, les amis et les roses ? On ne sait jamais le bruit ni la couleur des choses... C'est tout ce que je sais, mais ça je le sais..."

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Dans toutes les larmes, il y a un espoir... Simone de Beauvoir